samedi 7 février 2009

Robert Frank – Un regard étranger

1. Robert Frank, Hollywood, Les Américains, 1958.


“1947. Je pars pour l'Amérique. Comment peut-on être suisse ?”


C'est en européen exilé, happé par le tumulte du New York de la Beat Generation que le zurichois Robert Frank aborde pour la première fois en 1947 le territoire américain. Le photographe se forge rapidement une vision très personnelle et hautement subjective du reportage, multipliant les voyages en Amérique du Sud et les aller-retours entre l'Europe et les Etats-Unis.


En 1955, grâce au soutien de Walker Evans, il est le premier étranger à obtenir une bourse du Guggenheim. C'est le début d'un roadtrip de 2 ans qui le mène sur les routes de New-York à San Francisco, des main streets aux suburbs, et dont résultent quelques 28 000 photos. Parmi cette montagne de clichés Frank sélectionne en tout et pour tout 83 images qui paraissent en 1958 chez Delpire sous le titre Les Américains. Livre phare qu'ont feuilleté avec dévotion des générations entières de photographes, oeuvre culte préfacée par Jack Kerouac, dont on dit qu'elle a su capter l'essence de l'Amérique des 50's, ce petit bouquin continue d'exercer une fascination qui ne se laisse que difficilement analyser.

De quoi nous parlent-ils d'ailleurs ces Américains ?


2. Robert Frank, Beaufort, South Carolina, Les Americains, 1958.


“I was looking at the landscape. I knew I was in America. “What am I doing here ?” I asked myself. There was no answer. The landscape didn't answer me. There was no answer."*

"Je regardais le paysage. Je savais que j'étais en Amérique. Je me suis demandé : “Qu'est-ce que je fais ici ?”. Il n'y avait pas de réponse. Le paysage ne m'a pas apporté de réponse. Il n'y avait pas de réponse.”


Qu'y a-t-il à voir dans les photographies de Robert Frank ? Quelle genre de traces du réel documentent-elles, quel discours nous tiennent-elles ? Ne sont-elles, selon les mots de Frank que “des objets étranges, à moitié ensevelis, venus d'un autre temps, des objets doués d'une curieuse résonance, porteurs d'informations, de messages souhaités ou non, réels ou non ?”


3. Robert Frank, Paris, 1949.


Les photos de Frank, ce sont de petits morceaux arrachés au temps et à l'espace. Ni plus, ni moins. Mal cadrées, floues, parfois shootées sans même regarder dans le viseur, elles n'ont pour ambition que de témoigner d'une chose : du regard que Frank porte sur la vie. “Elles flottent dans le courant de [sa] vie normale”. Plus encore, elles sont la vie même de Frank, inextricablement liées à leur géniteur. Elles ne montrent rien de particulier si on y songe, elles ne démontrent rien, elles ne constituent pas les preuves d'un quelconque argument. Et pourtant leur puissante poésie peu à peu, au fil des pages, distille sa propre histoire.

Tout est affaire de narration.


4. Robert Frank, Paris, 1949.


C'est en découvrant son travail de cinéaste (Pull My Daisy en 1959 notamment) et les clichés parisiens que Frank réalise entre 1949 et 1952, que je commence à saisir ce qui fait de Frank un photographe si particulier. Ces photos paraissent insignifiantes, c'est ce qu'on se dit si on jette un coup d'oeil rapide à quelques unes d'entre elles. Elles ne semblent pas composées, elles ne capturent aucune sorte d'instant décisif, elles sont comme prises au hasard. Leur clé ne se livre qu'en les observant les unes à la suite des autres, car Frank photographie comme il filme et ce n'est qu'en promenant son regard d'image en image que le film photographique se recrée. “J'aimerais faire un photo-film, établir un dialogue entre le mouvement de la caméra et le gel de l'image fixe, entre le présent et le passé, l'intérieur et l'extérieur” écrit Frank.


Car ce qu'il y a à voir se trouve juste là, hors du cadre, dans cet entre-deux d'où transpire le lyrisme profondément mélancolique de Robert Frank.


5. Robert Frank, Paris, 1950.




Robert Frank, un regard étranger

exposition du 20 janvier au 22 mars 2009

Jeu de Paume

1 place de la Concorde, Paris 8e

Mardi (nocturne) : 12h à 21h
Mercredi à vendredi : 12h à 19h
Samedi et dimanche : 10h à 19h
Fermeture le lundi

Tarif plein 6 €
Tarif réduit 4 €




* Robert Frank dans un entretien filmé avec le cinéaste Jonas Mekas

Les autres citations sont extraites de Robert Frank, Photo-Poche n°10.


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