Cette semaine donc, je consacre la photo du jour au travail de Pierre Dubreuil, un photographe que j’ai récemment redécouvert au fil de mes recherches. J’écris actuellement mon mémoire de M2 qui porte sur les expositions de photographie à Paris dans les années 1890-1910, et le nom de Dubreuil m’est souvent apparu au fil des pages de catalogues d’expo, de revues de photo etc. J’ai tout de suite accroché sur ses clichés des années 1900, et ma curiosité m’a poussée plus loin. Les épreuves sur lesquelles je suis tombée m’ont encore plus impressionné par leur singulière modernité.
Dubreuil commence à pratiquer la photographie dans les années 1890. Avec l’apparition du procédé au gélatino-bromure d’argent et la commercialisation d’appareils portatifs, simples d’usage et peu couteux, c’est une période de grand développement de la photo. La firme Kodak lance son célèbre Brownie et son slogan choc : «vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste». La photographie devient un médium populaire, accessible à tous, comme en témoigne la presse de l’époque : «Pour six francs on a maintenant des appareils très suffisamment perfectionnés, qui n’exigent aucun apprentissage. [...] Il n’est pas de tout petit bourgeois, d’ouvrier aisé, de valet de chambre soigneux, qui n’emporte le dimanche un appareil : pas d’enfant à qui l’on en mette un dans les mains, aussitôt qu’on lui a enlevé son biberon.*»
La photographie, jusqu’alors pratiquée majoritairement par des professionnels, est désormais également l’affaire d’une nouvelle classe d’amateurs qui se structure en clubs. On y montre ses clichés, on y organise des projections (l’ancêtre de la soirée diapo...!), on organise des excursions photographiques etc. Le premier et le plus important de ces clubs français est sans doute le Photo-Club de Paris, créé en 1888. A l’image de leur président Maurice Bucquet, grand bourgeois et chasseur invétéré, les membres du Photo-Club sont pour la plupart des amateurs fortunés pouvant consacrer à la photographie beaucoup de leur temps.
Dans ce contexte de raz-de-marée de la photographie «facile», le Photo-Club prône une photo à caractère artistique, à la composition et aux effets de lumière recherchés, à la technique plus artisanale. Le Photo-Club se dote de labos de développement et de tirage rendant possible la mise en oeuvre de procédés tels la gomme bichromatée ou les encres grasses Rawlins, qui permettent l’obtention de résultats très proches du dessin ou de la gravure. Le mouvement prend rapidement de l’ampleur et de nombreux clubs se développent simultanément dans les grandes capitales européennes et aux Etats-Unis. Certaines sociétés ont même un caractère international comme le célèbre Linked Ring Brotherhood qui donne au courant le nom de photographie pictoriale, à partir duquel les historiens de la photographie ont forgé le terme de pictorialisme.
Voilà pour le contexte, pardon pour cette introduction un peu longue mais nécessaire pour aborder l’oeuvre de Dubreuil. Pierre Dubreuil est lui aussi l’une des grandes figures du pictorialisme français, mais bien que jouissant d’une grande renommée dans les cercles photographique de son temps, sa postérité est loin d’être comparable à celle d’un Constant Puyo ou d’un Robert Demachy. Vous l’avez compris, je trouve ça très injuste ! D’autant que l’oeuvre de Dubreuil reflète à merveille les différentes évolutions de la photographie de ces années.
2. Frederick Holland Day, The Seven Last Words of Christ, 1898.
Du naturalisme de ses débuts il passe à un symbolisme très personnel. Si sa très expressive Mise au tombeau évoque immanquablement les Seven Last Words of Christ de Frederick Holland Day, le Bénédicité applique quant à lui une composition très audacieuse, inspirée de l’estampe japonaise, à l’interprétation d’un sujet tout occidental. Dubreuil se convertit aux procédés pictorialistes, comme en atteste la Grande Roue des Tuileries, symbole de la modernité transfigurée pourtant en une sombre silhouette romantique. Le parcours de Dubreuil ne s’arrête pas là cependant, alors que le mouvement pictorialiste français sclérosé s’éteint doucement dans les années 1910. Sa photographie connait une nouvelle évolution, comme en témoigne le Coin d’avenue de 1911 qui doit encore beaucoup au pictorialisme quant à sa technique, mais dont le sujet - une ombre - et le cadrage montrent que Dubreuil est au seuil de l’avant-garde.
A suivre demain, avec les 3 dernières photos de la série (je rattrape mon retard du début de semaine !)
* Miguel Zamacoïs, "L’Age de la photographie", in Le Gaulois, retranscrit dans le Bulletin du Photo-Club de Paris, n°142, novembre 1902, p.379.
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