Joan Fontcuberta, Forderungen des Frühlings (Exigences du printemps), photogramme réalisé sur papier peint, 1991.
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Bonne nouvelle pour tous ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de visiter l’expo Daumier de la BNF qui devait se terminer le 8 juin : prolongation jusqu’au 29 juin ! Et pour ceux qui ne peuvent pas se rendre sur place, pas la peine de pester, le site dédié à l’expo est à l’image de celle-ci : absolument génial ! On y trouve la totalité des images et des textes explicatifs, mais pas seulement. Une bonne partie des lithos a été numérisée en haute définition et le zoom permet de se retrouver réellement au coeur de l’oeuvre dans toute sa matérialité : le geste du lithographe prend vie sous vos yeux. Et en prime, un ensemble conséquent de textes issus du catalogue proposent un approfondissement passionnant sur Daumier et son époque.
C’est une véritable plongée dans la vie du XIXème siècle que propose l’exposition, au travers de l’oeil aiguisé du célèbre caricaturiste, comme le souligne la mise en scène malicieuse de l’autoportrait sculpté de l’artiste, reflété par un miroir déformant. Le ton est donné.
Si Daumier est également l’auteur de sculptures et de peintures dont une partie sont aujourd’hui visibles au musée d’Orsay, sa renommée, il l’a principalement établie en tant que dessinateur lithographe. Il produit ses premières planches à caractère politique dans les années 1830 dans les journaux satiriques La Silhouette, La Caricature et Le Charivari. En 1834, sa dénonciation sans compromis de la répression sanglante de l’émeute de la rue Transnonain prend la forme d’une description réaliste sans verser dans le pathétique, ce qui la rend d’autant plus frappante. On est simplement face à l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile, de plus faillible.
2. Rue Transnonain le 15 avril 1834, lithographie publiée dans l'Association mensuelle de juillet 1834.
Cette faille, Daumier la traque. Observateur de son temps et de ses contemporains, son crayon se nourrit de ces petits riens du quotidien, de la pluie ou du beau temps, tout autant que des grands événements qui agitent le siècle. Restauration, Monarchie de Juillet, IIème République, Second Empire, IIIème République... la succession de régimes dont Daumier est le témoin constitue certes une source d’inspiration de premier choix pour l’artiste, mais elle est aussi un frein à son expression. L’exposition rend particulièrement bien compte de ces différentes périodes et des contraintes qui pèsent sur le choix des thèmes abordés par le lithographe. Les lois de contrôle de la presse ou de plus grande liberté se succèdent, et Daumier en fait les frais. Suite à son emprisonnement à Sainte-Pélagie, l’artiste renonce temporairement à traiter des sujets politiques et se consacre aux scènes de moeurs dans lesquelles il épingle les travers de ses contemporains avec un mélange d’ironie et de tendresse.
4. Le printemps à Paris "A la bonne heure, il ne fait plus froid !", lithographie, planche n°4 de la série Croquis parisiens, publiée dans Le Charivari du 5 avril 1853.
La drôlerie de certaines scènes dépasse les frontières temporelles et les visiteurs de l’expo ont tous le sourire aux lèvres. Personnellement j’ai pas mal ricané devant la série sur l’histoire ancienne, je me suis retrouvée transportée au lycée, en cours de mythologie grecque pendant lequel on caricaturait la prof en toge et spartiates (Melle B. si vous me lisez, χαιρε ! Peace !).
L’artiste invité cette année par Monumenta est le sculpteur américain Richard Serra, dont les créations, aux dimensions propres à défier les architectures les plus colossales, semblent taillées pour le Grand Palais. Le parti adopté par Serra est cependant très éloigné du tourbillon émotionnel dans lequel Kiefer avait plongé les visiteurs l’an passé, et c’est une Promenade empreinte de sérénité qu’il nous propose.
En cela, l’oeuvre de Serra demeure très marquée par l’expérience qu’il fait, lors d’un voyage en 1970 au Japon, du jardin zen de Kyoto. Il le dit lui-même, cet épisode fut un déclencheur et il intègre dès lors dans sa création une réflexion sur la rythmique de l’espacement. Cet élément est fondamental pour comprendre la Promenade. Car face à ces immenses structures de métal qui se dressent vers la voûte transparente de la nef, à la fois massives et extrêmement frêles, légèrement inclinées, comme prêtes à s’effondrer, c’est bien la mouvance, la promenade du visiteur au sein de l’oeuvre qui en forme le coeur même.
«Le sujet, c’est l’expérience que vous avez en rentrant dans cet espace et en vous y déplaçant. C’est votre expérience de cette oeuvre» dit Serra. Plus encore, c’est une expérience privée, de l’ordre de l’intime, vécue en public. Déroutante et très enrichissante, cette expérience, je vous la recommande vraiment ! Un des temps forts de la scène culturelle parisienne, sans nul doute.
Monumenta 2008 : la Promenade de Richard Serra
Grand Palais, avenue Winston Churchill, Paris 8è
du 7 mai au 15 juin 2008
tarif plein : 4 euros
tarif réduit : 2 euros
audioguide gratuit, profitez-en !
Photos de l'auteur.
Lors de ma visite de l’expo Man Ray, j’avais eu un coup de coeur pour une série de gravures que je pensais être des illustrations pour le recueil de poèmes de Paul Eluard Les Mains Libres. Après quelques recherches, il s’est avéré que la démarche des deux artistes et amis pour la création de cet ouvrage était en réalité l’exact inverse. Ces dessins, Man Ray les a réalisés au cours des années 1936-37 alors qu’il voyage dans le Sud de la France et en Cornouailles, et c'est à partir d'eux qu'Eluard a composé ses poèmes.
L’ensemble que forment poèmes et illustrations sont un écho particulièrement éloquent de la manière dont est vécu l’acte créatif chez les surréalistes. Les dessins de Man Ray sont issus des croquis réalisés au cours de ces deux années de voyage sur un carnet qu’il conserve auprès de son lit. Il pousse ainsi très loin l’expérience du dessin automatique, créant ses esquisses le soir avant de s’endormir et le matin, quand au réveil ses rêves lui reviennent à l’esprit. «Dans ces dessins, mes mains rêvent» dit Man Ray à propos des Mains Libres.
Au fil des pages, Man Ray convoque tout un cortège d’images hétéroclites issues de sa mythologie personnelle ou plus largement partagées par le clan surréaliste, assemblées dans des compositions évoquant le cadavre exquis. Certaines gravures témoignent de l'influence de Giorgio de Chirico tandis que d'autres font directement écho aux propres photographies de Man Ray.
3. Man Ray, Les Mains Libres, L'évidence
4. Man Ray, A l'heure de l'observatoire, les amants, 1933-34
5. Man Ray, Larmes, 1933
8. Man Ray, Les Mains Libres, Femme portative
9. Dali, étude pour l'armoire anthropomorphe, 1936
10. Breton, Lamba et Tanguy, cadavre exquis, 1938, National Galleries of Scotland
11. Man Ray, Les Mains Libres, autoportrait
12. Man Ray, Les Mains Libres, portrait d'André Breton
13. Man Ray, portrait d'André Breton (solarisation), 1929
14. Man Ray, Les Mains Libres, portrait imaginaire du marquis de Sade
15. Chirico, Le Chant d'amour, 1914, MoMA, New York
Le recueil est aussi une célébration de l’amitié qui lie Man Ray à Eluard, depuis leur rencontre dans le Paris des années 20. D’une première collaboration entre eux était né Facile, recueil de poèmes et de photographies dont Nusch la «Berlinoise», le nouvel amour d’Eluard, forme le motif central. Les deux hommes ont une même foi dans le pouvoir de l’art, de la poésie et de l’imagination, et pour Eluard «le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré». Par un jeu d’évocation et d’écriture automatique, mêlant une langue d’une grande pureté à un vocabulaire plus provocateur, les poèmes se combinent aux dessins et viennent démultiplier les interprétations possibles. Je vous laisse en compagnie de quelques-unes des ces pages.
LA LECTURE