
Louis Faurer, Elevated Subway on 3rd Avenue (looking at Tudor City, New York), 1947.
Le blog tourne au ralenti en ce moment, je m’en excuse. Ce sera le cas durant quelques semaines encore, le temps d’achever mon mémoire, puis de le soutenir.
La plupart des expos de l’été sont en train de se terminer, alors profitez des derniers jours si vous n’en avez pas encore eu l’occasion. Je sais bien comment ça se passe, on se dit toujours qu’il y aura trop de monde, la queue, tout ça, et puis qu’une expo, ça dure bien assez longtemps pour qu’on trouve un moment pour s’y rendre. Et on la rate. C’est comme ça que je viens de rater l’expo Peter Doig au Musée d’art moderne de la ville de Paris.
1. Bridget Riley, Fall, 1963, émulsion sur panneau de fibres, Tate Gallery.
Il vous reste en revanche une semaine pour aller voir, toujours au MAMVP, la rétrospective consacrée à Bridget Riley. Vraiment, faites le déplacement si vous le pouvez, parce que ces oeuvres-là, il faut être bien en face de chacune d’entre elles pour comprendre toute la dimension (ou plutôt les dimensions) que peut prendre l’op art manié par un maître du genre. Plonger le regard dans ces toiles est une expérience que votre rétine n’est pas prête d’oublier et visiter cette expo m’a laissé cette même sensation qu’il y a quelques années lors de la rétrospective Rothko, le frisson que l’on ressent lorsque la couleur et les formes se mettent à vibrer et vous entraînent autre part.
Dans une semaine également se termine l’exposition Annie Leibovitz, a photographer's life, 1990-2005 à la Maison européenne de la photographie. Le parti pris de l’expo est de présenter aussi bien ses photos vues et revues de célébrités, parues dans Rolling Stones Magazine, Vogue ou encore Vanity Fair, que ses clichés pris dans l’intimité, dévoilant le quotidien de sa relation amoureuse avec l’écrivain Susan Sontag. Un grand écart d’autant plus acrobatique que les deux versants de la production de Leibovitz semblent inconciliables tant sur le plan formel qu’au niveau de la démarche même de la photographe. Autant sa production «commerciale» destinée à être publiée dans la presse témoigne d’un souci de mise en scène exacerbé et d’une volonté de transfigurer son sujet en icône, autant ses petites épreuves en noir et blanc pour la plupart, prises au sein de la cellule familiale, sont d’une fragilité et d’un naturel extrêmement touchants.
2. Annie Leibovitz, Susan et Sarah, Harbor Island, Bahamas, décembre 2002.
Dans l’une des dernières salles, vous croiserez un portrait de Richard Avedon pour qui Leibovitz conçoit une immense admiration. L’occasion pour moi de vous rappeler que l’exposition consacrée au Jeu de Paume à cet autre maître du portrait photographique dure jusqu’au 27 septembre, et que s’il fallait choisir, ce serait bien celle-ci qui remporterait mon suffrage, de très loin.
Conçue selon un parcours chronologique, l’exposition présente en premier lieu les clichés qu’Avedon réalise à ses débuts en tant que photographe de mode pour Vogue et surtout pour Harper’s Bazaar. Au sein de cette rédaction, il collabore avec le directeur artistique et graphiste Alexey Brodovitch qui a déjà insufflé au magazine un air nouveau par l’audace de ses mises en page et ses choix d’illustrations. Lui-même photographe à ses heures, Brodovitch permet à Avedon de publier dans les pages du Harper’s Bazaar ses clichés qui viennent renouveler les standards de la photo de mode, dominée depuis les années 30 par la figure d’Edward Steichen, dont les compositions et les effets de lumières très étudiés confinent au classicime. A l’inverse, Avedon donne la priorité au naturel et au mouvement et photographie ses modèles à la manière d’un reporter, s’inspirant de Martin Munkacsi (qui a lui aussi travaillé pour Harper’s Bazaar, et dont Henri Cartier-Bresson revendique l’influence également).
1. Hommage à Munkacsi, Carmen, manteau Cardin, Place François Ier, Paris, août 1957.
Si la photo de mode réapparait régulièrement dans la production d’Avedon, le photographe, qui ouvre son propre studio dès 1946, se consacre principalement au portrait, genre qui lui assure son immense renommée. Chez lui défile tout ce que New York compte d’acteurs, d’intellectuels, de cinéastes, d’écrivains... Le style Avedon, si caractéristique, se met en place par un processus d’épuration, une série de renoncements. Un fond blanc qui neutralise tout environnement et toute possibilité de narration, une absence totale d’accessoires, un premier plan d’une netteté absolue associé à une profondeur de champ très faible qui annule tout arrière-plan, et le fameux bord noir. Henri Cartier-Bresson a lui aussi fait de cette pratique sa marque de fabrique, qui consiste à cadrer le tirage en laissant apparaître la bordure noire du négatif. Chez lui, il constitue une preuve, il est l’attestation que le tirage n’a pas été recadré, qu’il correspond dans sa totalité à ce que le photographe a enregistré sur son négatif. Chez Avedon, il forme aussi, en même temps qu’il affirme le statut de la photographie en tant que produit issu d’une technique, un cadre à la manière d’un tableau, donnant à l’oeuvre une certaine ambivalence. Quel statut et quelle fonction donner à ces images ? Est-on face à un témoignage, à un indice, à un enregistrement de l’identité d’une personne à un moment donné, comme le suggèrent les dates de prise de vue consignées avec précision par Avedon ?
2. Katharine Hepburn, actrice, New York, 2 mars 1955.
3. Jean Renoir, réalisateur, Beverly Hills, Californie, 11 mai 1972.
Ce questionnement sous-jacent à l’oeuvre d’Avedon éclate avec plus d’évidence encore face aux oeuvres qu’il compose en diptyque ou en triptyque, tel le portrait d’Igor Stravinsky qui évoque immanquablement la logique du Photomaton. Une unique photographie peut-elle rendre compte d’un individu ? Qu’est-ce qui, au fond, constitue son identité propre ? Avedon répond à ces questions en ces termes : «l’inexactitude n’existe pas en photographie. Toutes les photos sont exactes. Aucune d’elle n’est la vérité.»
4. Igor Stravinsky, compositeur, New York, 2 novembre 1969.
Les citations d’Avedon, qui s’est beaucoup exprimé sur son travail, jalonnent l’exposition et permettent de mieux appréhender les intentions du photographe. Comment comprendre ce qui le pousse, durant sept années, à photographier son père rongé par la maladie, comme si l’acte photographique était une façon de partager sa souffrance et de l’accompagner jusqu’au dernier instant ? Je pense précisément que cette notion de partage et d’échange forme le coeur de la démarche d’Avedon, la photographie conservant une trace de la rencontre entre le photographe et son modèle, sans toutefois en constituer la finalité. Et une fois encore, il n’est pas question d’une quelconque véracité : «Ce n’est pas mon père sur le mur. C’est une photographie de mon père. On a tendance à penser qu’une photographie est un enregistrement de quelque chose vu de manière objective. C’est impossible, même si parfois il est intéressant de tenter d’y parvenir. Si tel était mon but, je ne serais pas photographe.» Cette série de portraits de Jacob Israel Avedon possède une puissance pathétique que leur petit format ne parvient pas à contenir et conduit le spectateur vers un autre versant du talent l’Avedon.
5. Jacob Israel Avedon, père du photographe, Sarasota, Floride, 15 mai 1971.
6. Jacob Israel Avedon, père du photographe, Sarasota, Floride, 19 décembre 1972.
7. Jacob Israel Avedon, père du photographe, Sarasota, Floride, 25 août 1973.
Le travail du photographe prend, à mon sens, sa pleine dimension lorqu’il se frotte au reportage, qu’il traite bien sûr au travers du portrait. En 1963, il photographie les protagonistes du Civil Rights Movement luttant contre la ségrégation raciale et tous les types de discrimination, tels Malcolm X et le révérend Martin Luther King. La scénographie joue des contrastes et présente le célèbre portrait de William Casby, symbole des revendications de la classe noire américaine, en regard du portrait du président Eisenhower.
8. William Casby, né esclave, Algiers, Louisiane, 24 mars 1963.
9. Dwight David Eisenhower, Président des Etats-Unis, Palm Springs, Californie, 31 janvier 1964.
Le véritable choc pour moi a été la découverte de la série In the American West, qu’il consacre à l’exploration des milieux modestes entre 1979 et 1984. Le lien avec la campagne photographique lancée par la FSA durant la Grande Dépression des années 30 est d'autant plus évident qu'ici aussi il s'agit d'un travail de commande. Mais là où Dorothea Lange traite du dénuement et du désespoir, Avedon refuse l'apitoiement. Les personnages qu'il rencontre, même sdf, sont photographiés de la même manière que les personnalités qui défilent habituellement dans son studio de New York. Ils nous apparaissent dans l'expression de leur individualité et non dans celle de leur condition. Des êtres humains, voilà leur condition, et c'est tout ce qui importe pour Avedon, lui qui a consacré son oeuvre à cette quête d'humanité.
10. Bill Curry, sdf, Interstate 40, Yukon, Oklahoma, 16 juin 1980.
11. Billy Mudd, chauffeur routier, Alto, Texas, 7 mai 1981.
12. Bubba Morrison, ouvrier pétrolier, Albany, Texas, 10 juin 1979.
13. Clarence Lippard, sdf, Intestate 80, Sparks, Nevada, 29 août 1983.
Richard Avedon - Photographies 1946 - 2004
du 1er juillet au 27 septembre 2008,
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, VIIIème arr.
© Richard Avedon Foundation