vendredi 18 avril 2008

Carl de Keyzer - Trinity


L’expo Carl de Keyzer vient de se terminer à la galerie de photo de la Bibliothèque Nationale de France, alors même s’il est trop tard pour que vous puissiez vous y rendre, je ne résiste pas à l’envie d’en faire un petit compte-rendu malgré tout. Peut-être aura-t-il le mérite de vous donner envie d’en découvrir un peu plus sur ce photographe, membre de la célèbre agence Magnum. Vous pouvez d’ailleurs aller jeter un oeil sur son site où l’intégralité des photos du projet Trinity présentées à l’expo sont reproduites.


Carl de Keyzer est originaire de Belgique et travaille à Gand, où il a étudié la photographie et le cinéma à l’Académie des beaux-arts (il y enseigne d’ailleurs la photo de 1982 à 1989). Comme beaucoup de photographes actuellement, il fait connaître son travail au travers d’expositions et surtout par la publication. En 1987, avec la parution d’India, reportage sur les mois de mousson en Inde, puis avec Homo Sovieticus, réalisé l’année précédant l’effondrement de l’URSS, son travail est internationalement reconnu. Il est ainsi nommé à Magnum en 1990 et poursuit ses investigations photographiques aux Etats-Unis avec God Inc. (1990-1992), qui met en exergue les liens entre religion et nationalisme dans le contexte pesant de la guerre du Golfe. En 1996, East of Eden explore les difficultés à vivre la transition vers la démocratie dans l’ancien bloc communiste, tandis qu’avec EVROPA (2000) le photographe questionne les procédés d’écriture de l’histoire, oscillant entre fiction et reconstruction de la réalité.


Cette même interrogation est omniprésente dans le projet Trinity, fruit de différents reportages que réalise le photographe ces quinze dernières années ayant pour lignes directrices l’Histoire, la Politique et la Guerre. Ces trois axes donnent son nom au projet Trinity (qui constitue également une référence au nom de code du premier essai de la bombe atomique) ; ils forment aussi autant de volets au triptyque voulu par Carl de Keyzer, tant dans la structure de l’exposition que du livre qui lui fait échos. Trinity formule une réflexion sur la manière dont l’Histoire est élaborée, et sur la valeur testimoniale (la capacité à relever des indices, à fournir des preuves) que l’on accorde à la photographie. A cette démarche, qui questionne la nature même du médium photographique, s’ajoute une dimension esthétique et l’ambition du photographe à situer son travail dans la lignée de l’art classique. Sa formation à l’Académie des beaux-arts explique sans doute en partie l’attention que porte Carl de Keyzer à la manière dont il compose ses photographies, et la science qu’il déploie à s’approprier, pour mieux les détourner, les codes du «grand genre». C’est bien à la peinture d’histoire, le genre au sommet de la hiérarchie dans la conception classique de la peinture, que font référence le grand format des tirages, le choix des couleurs, le goût pour la mise en scène et les représentations en gloire, que décline Carl de Keyzer au fil de ses clichés. S’il renoue ainsi avec un vocabulaire plastique aux forts accents du passé, ce n’est cependant pas pour en faire une apologie teintée de nostalgie mais pour en offrir une critique photographique.


L’expo s’ouvre de manière très intelligente sur une mise en perspective historique de la question de l’écriture et de l’interprétation de l’histoire, illustrée par la célèbre gravure représentant le siège de la Rochelle, «premier reportage de guerre» réalisé par Jacques Callot à la demande de Louis XIII (à caractère nettement propagandiste, donc) en 1628. La photographie quant à elle fait son apparition sur les champs de bataille lors de la guerre de Crimée (1853-1856) comme en témoignent les clichés de James Roberton, Durand-Brager et Lassimonne.


Dans la galerie, les images sont réparties selon les trois catégories de Trinity : tableaux d’histoire, tableaux de guerre, tableaux politiques, sans aucun cloisonnement entre elles, et dans un parcours de circulation très libre.


De la série des tableaux politiques, je retiens surtout les photos prises aux parlements européens de Strasbourg et Bruxelles, aux mises en scène particulièrement étudiées, qui isolent les personnages, solitaires au sein de vastes architectures. Et aussi tous ces clichés pris dans les assemblées lors de délibérations, dans les salles de conférence, qui, par un jeu subtil de contraste et de mise en scène, alors que les scènes semblent prises sur le vif, renvoient un sentiment de pesanteur et de gravité.




La série des tableaux d’histoire joue sur un registre différent la carte du décalage par la mise en avant des particularités propres à l'image photographique (flou et flash notamment), ainsi que par la violence de couleurs électriques qui rappelle l’esthétique développée par un autre photographe de Magnum, Martin Parr.



Quant aux tableaux de guerre, qui constituent ma série préférée, ils offrent une vision déroutante sur les drames de l’histoire récente, tels le conflit actuel en Afghanistan ou les avatars de la guerre civile en Angola. Carl de Keyzer montre ici toute l’étendue de son talent et sa capacité à renouveler sans cesse son approche du médium photographique par l’emploi pour cette série d’un format panoramique et de compositions proches de la peinture de paysage classique. Le photographe s’attache à décrire les lieux d’affrontements violents et les traces qu’ils ont laissés sur le paysage, sur cette Nature qui demeure sereine et souveraine.




Et pour terminer la ballade, et élargir un peu son champ de vision sur d'autres photo-reporters de talent, je vous conseille vivement un détour par le site de Magnum, où l'on peut découvrir les porte-folios de chaque photographe membre de l'agence.



Illustrations :

tableaux politiques - 1 & 2 : Parlement européen de Strasbourg, session plénière, 2005-2006
tableaux d'histoire -
3 & 4 : Washington D.C. 2005, Capitol Hill ; 5 & 6 : Washington D.C. 1993, élection de Bill Clinton
tableaux de guerre - 7 & 8 : Kaboul, 2004.


Toutes images © Carl de Keyzer, exceptée la première par l'auteur.


vendredi 4 avril 2008

La photo de la semaine



J'ai ressorti mon Polaroïd adoré, refait un petit stock de pellicule (si comme moi vous trouvez ça hors de prix, filez sur eBay), et je me réaclimate doucement à l'image argentique. Le premier essai a été le bon et je suis tout de suite retombée amoureuse du grain si particulier de ces clichés, de leurs tonalités, de leur matérialité aussi, que le numérique tout puissant occulte tellement.


Photo de l'auteur.